Retour

 

 

Le Chant des Moustiques de Venise

Le Vieux Chien

L'Accueil aux Oiseaux

Le Propos avec les Oiseaux

Hercule et Prométhée

 

Extrait du merveilleux recueil Les Familiers, voici, pour commencer, un poème plein d'humour et de fantaisie, qui révèle une fonction fort inattendue des moustiques vénitiens...

Le chant des moustiques de Venise

L'étranger dort ; alors, stridents, sur ses paupières,
Nous faisons nos chansons et tirons nos rapières ;
Nous sommes spadassins, danseurs, musiciens.
Il a gâté sur l'eau les reflets anciens,
Et tout le jour, le long des palais presque arabes,
Sa gondole fâcheuse a dérangé les crabes,
Mais maintenant touché par nous aux mains, au cou,
Notre homme exténué ne ronfle plus beaucoup.
Nous lui chantons : «Comment, amateur de la ville,
La laisses-tu la nuit comme une chose vile?
Viens ; ta fenêtre a droit à ton coude rêveur ;
Lève-toi ; nous t'avons réveillé par faveur.
Tu ne pouvais rester les yeux clos sans scandale.
Comme la lune est fraîche au liquide dédale.
Au carrefour marin son rayon s'est brisé ;
Surprends le flot, qui rit comme un enfant frisé.
Nous te piquons, afin de te tenir alerte. »

- Ainsi, tant que la ville est d'étoiles couverte,
Nous lardons l'Allemand ingrats, et jusqu'au soir,
Les Titiens demain l'auront pour repoussoir,
Et nous élargissons dans sa chair massacrée
La plaie, et son malaise irrité nous récrée,
Et maigres, nous goûtons la saveur de son sang,
Jusqu'à l'heure où, lointain, pavoisé, grandissant,
Et fier, devant la ville et déjà plus près d'elle,
Comme s'il revenait de vaincre l'Infidèle,
Le matin plein de cris, de gloire et de rougeur,
Arbore ses drapeaux sur Saint-Georges Majeur.

 

 

Autre poème extrait des Familiers, voici un poème qui, dans sa concision et sa sobriété donne une idée du grand talent descriptif d'Abel Bonnard servi par un sens aigu de l'observation...

Le Vieux chien

Autrefois, enivré de ses membres robustes,
Il sautait dans la haie et griffait les arbustes,
Et ses bonds chaleureux nous fêtaient : aujourd'hui,
Son âmes humble est déjà recouverte de nuit.
Il somnole; le feu lui souffle sa fumée.
Mais quand nous approchons sa prunelle embrumée
S'ouvre, il lève vers nous la tête avec effort,
Et cherche dans nos yeux si nous l'aimons encor.

 

Abel Bonnard éprouvait un amour immense pour les oiseaux. Il exprima ainsi le souhait que sur la dalle de sa tombe soit creusée une vasque où, au plus fort de l'été madrilène, les oiseaux pourraient toujours venir s'abreuver...
  Il est vrai que dans Océan et Brésil, Abel Bonnard note :
«
Les oiseaux [...] appartiennent moins à notre monde qu’ils ne lui sont ajoutés : ils inventent la joie au-dessus de nous. »

 

 

L'Accueil aux oiseaux

Oiseaux, voici le temps des fenêtres ouvertes
Tandis que le soleil s'écaille aux feuilles vertes,
Dans nos chambres, le ciel entre jusqu'à nos lit,
Et c'est vous qui rendez nos moments embellis.
Vous semblez une source à travers la feuillée,
Et l'âme est à l'éveil par vous débarbouillée ;
C'est vraiment à votre eau qu'on se lave les mains.
Vous grêlez de chansons la vigne et les jasmins,
Et célébrez le temps avec un bruit crédule ;
Quand vous sonnez sans cesse ainsi qu'une pendule,
Nous nous taisons ; vos voix entravent nos esprits.
Voici l'ombre, et les champs sont de lune surpris.
Mon jour que je revois porte encor votre marque ;
Et maintenant, ô toi, rossignol, sur la barque
De mon sommeil, et loin du flamboiement brutal,
Tu rameras avec ta rame de cristal.

 

 

 

 

 

Le Propos avec les Oiseaux

                         MOI
Je suis gai ; le beau temps me plaît comme un cadeau.
Depuis que mars venteux a gonflé mon rideau,
Depuis avril, fier mois où l'azur se révolte,
J'ai fait de l'encrier sortir une récolte.
Je travaille, travaille avec un coeur grondant,
Et j'ai rendu l'été dans mes vers évident.
Le ciel souffle sur nous un orage d'abeille.
Laure en mêlant ses doigts fait comme des corbeilles,
Près de moi qui, chargé de jour et d'arbres verts,
Connais l'instant de pourpre où naissent les beaux vers.

                         LES OISEAUX
Silence : écoute-nous : il faut que tu le veuille,
Car l'arbre a des oiseaux presque autant que de feuilles,
Et nous le remplissons comme un soyeux guêpier ;
Ton travail maladroit écorche le papier.
Nous, nous retentissons sans fin, roi de l'oreille,
Lorsque, cachant déjà ses raisin, chaque treille
Semble un ami charmant honteux de ses présents.
Nous enivrons un peu ces braves paysans.
Plus que le tien, notre art est savant et rustique ;
Nous chantons. Comme un roi qui se fait domestique,
Vois, le mois de juillet sur ton seuil vient s'offrir,
Et l'humeur du charbon lui-même est de fleurir ;
Le ciel...

                         MOI

              Mais tout cela, c'est dans mes vers. Poète,
Je m'occupe du temps comme une girouette,
Et mon art n'est pas gauche et ne manque que peu
A recréer les fleurs, la terre et le ciel bleu.
Je jette, en travaillant à mes table fidèles,
Les vers sur le papier comme un vol d'hirondelles;
Ma fatigue elle-même est douce comme un fruit;
Je revois le soleil lorsque j'écris la nuit;
Je suis content ; je peux me couronner moi-même.

                         LES OISEAUX

Pour un reflet du temps qui brille à son poème,
Le voilà vain ; il croit savoir l'été ; sait-il
Quelle couleur de fleur eut le matin subtil ?
A-t-il piqué ses yeux dans chaque fourmilière ?
Sait-il même quel vent souffle, et gonfle le lierre,
Et passe dans nos vol comme dans un tamis ?

                         MOI

Mais oui, c'est le vent d'Est ; il est de mes amis.
Il me parle ; il m'a fait le serment, sur la route,
Qu'il vivrait avec nous, qu'il suffit qu'on l'écoute,
Qu'on le tiendra captif ainsi qu'un hanneton,
Qu'ayant ouvert la rose, il soigne le bouton,
Qu'il veut ne plus courir du tout, prendre racine;
Qu'il se trouve amoureux de ma chaste glycine,
Et que, comme il n'a pas de fin dans ses amours,
Il demeure, et qu'ainsi c'est l'été pour toujours.

                        LES OISEAUX

C'est vrai. Tout est garni d'azur. Dans la verdure
L'été s'est installé pour un séjour qui dure ;
La nuit est aplatie entre l'aube et le soir ;
A peine si minuit est gros comme un point noir.
La lumière emplit tout comme une eau dans un verre ;
Après s'être appuyé sur chaque coin de la terre,
Quand il doit nous quitter même, à la fin du jour,
Le soleil tend le bras pour jurer son retour.

                        MOI

C'est bien ce que je dis. Pour voir toute la fête
Ne dormons plus ; le ciel me tombe dans la tête.
Chaque soir le soleil riche, au bout du chemin,
Fait reluire tout l'or qu'il répandra demain.
Nous rions ; nous avons tout l'azur souhaitable ;
Les jardins bout à bout sont longs comme une table,
Où le festin des fruits rougit et nous attend ;
Il faudrait se forcer pour n'être pas content.

                        LES OISEAUX

Le vent dit qu'il fera toujours beau ; qu'on le croie.
Nous soulageons la terre en exprimant la joie ;
Le ruisseau nous répète en bas ; nous couronnons
L'instant qui naît ; l'été par nous a mille noms.
Le jour dans notre bain conserve sa jeunesse ;
Nous regardons le monde immense avec finesse.
Nous chantons. Pleins de crainte et de rayonnements,
Les amoureux muets nous ont pour truchements.
Le jour parle par nous ainsi que par des lèvres ;
Nous semblons au labeur d'invisibles orfèvres.
Grâce à nous, de l'aurore au soir horizontal,
Les chevaux du soleil ont des fers de cristal.
Nous sommes les oiseaux pareils à de l'eau fraîche.
A midi, le silence de notre bec s'ébrèche ;
La terre fait fleurir tout ce qu'on peut planter,
L'homme pour tout travail n'a qu'à nous écouter.
Depuis l'aube, tandis que grandit la lumière,
Nous sommes une source élargie en rivière.
Dans le sincère été nous sommes éloquents.
Chaque haie a nos chants ainsi que ses piquants.
Nous sommes dispersés partout comme des graines.
Nous soulignons l'été dans les branches sereines,
Et l'arbre, s'admirant d'être plein de nos bruits,
Veut ménager ses nids plus encor que ses fruits.
L'écho n'a pas d'esprit ; sur ses flûtes inertes,
Il dort, ayant le cris des rustres pour alertes,
Et dans l'herbe, restant pâle à nous envier,
C'est l'esclave plaintif des chansons du bouvier;
Nous, au creux des buissons, sous la toison des orges,
Nous avons un grand art dans nos petites gorges ;
Quand nous ouvrons le bec ce n'est pas pour manger.
Notre musique agreste enchante le berger,
Mais c'est à nous surtout que nous versons l'extase ;
Nos chants sortent du ciel comme les fleurs d'un vase.

                        MOI

Maintenant j'aime moins mes vers.

                        LES OISEAUX

                                                                      
Et nous volons.
Pour aller sautiller sur la mare, aux vallons,
Pour joindre en un moment le clocher de l'église,
L'aile s'ouvre, pareille au voeu qu'on réalise,
Et même en traversant l'enclos, le moindre vol
Tient en lui l'Algérie et le ciel espagnol ;
Le plus petit de nous revient de la Sicile.
Nous sommes les oiseaux pour qui tout est facile,
Et c'est nous qui chantons sans peine ; et sans fardeau
Nous voyageons, ayant tout l'azur pour radeau,
Et nous sommes les seuls qui s'élèvent sans lutte ;